(merci au site de Bless)
Dans son nom d’artiste, déjà, d’une “alarmante douceur”, tout un monde. Bless, comme blessée ou blessure. Bless, comme “bénie” en anglais, pour faire écho à son véritable prénom, Bénédicte. “Il signifie “bénie de Dieu”. Le genre de noms qu’on donnait autrefois aux orphelins”, dit-elle, à la fois frêle et implacable. On aura compris que Bless, 32 ans, n’aime pas tellement les familles. Par l’originalité de son premier album et la singularité de son parcours, elle se tient d’ailleurs à l’écart de toute tentative d’affiliation ou d’amalgame à une quelconque scène, tendance ou génération. Peu ou pas de références musicales, même si, à telle ou telle heure de sa vie, elle se sera passée obsessionnellement en boucle le Velvet Underground avec Nico, Janis Joplin, Jeff Buckley, Rickie Lee Jones, Violent Femmes ou Elliott Smith. Sa musique n’en porte pas vraiment de traces, si ce n’est le goût du travail apre et obstiné, et d’un certain vertige dans la création.
De son enfance solitaire à Boulogne, elle a gardé l’habitude de se batir des univers dans sa chambre, sans témoin, obnubilée par le plaisir de faire, de défaire, de chercher, sans autre guide que sa sincérité et le besoin de s’exprimer. Très tôt, ce sera le dessin et les poèmes. Plus tard, elle s’essaie au théatre, un vieux rêve d’enfant, fréquente des écoles, celle de Niels Arestrup à Paris ou de Lee Strasberg à New York, s’y ennuie à mourir. “Je ne suis pas faite pour la scolarité, ni pour le cabotinage.” Elle montera pourtant sur scène, pour “Et maintenant le silence”, une création foutraque et collective au théatre de la Bastille et, aux Amandiers, pour “Cymbeline” de Shakespeare, dans lequel elle incarne, le crane rasé, un jeune garçon et y chante sa première chanson, qu’elle compose elle-même. Elle se mettra aussi à la sculpture, une passion validée par plusieurs expositions, au cours desquelles elle vendra la totalité de ses oeuvres, et à l’écriture, avec deux romans non publiés, aux histoires follement surréalistes.
Mais c’est dans la musique qu’elle trouve l’équilibre et l’épanouissement qu’elle cherchait depuis toujours. “Quand je faisais de la sculpture, j’entendais des voix, des borborygmes, comme si je travaillais mes organes. Mon sentiment de repli se renforçait. La musique est plus extérieure, je n’ai pas l’impression d’être isolée.” Une première expérience avec DJ Cam, un ami de collège, à qui elle confie un texte, “sang-lien”, pour l’album “Underground Vibes”, lui donne l’envie de persévérer. Autodidacte complète, elle se met au travail et la quinzaine de titres de l’album naissent peu à peu, Bénédicte-Bless s’attachant sans relache à tout faire toute seule: l’écriture, la composition, les arrangements. “Si j’écris des histoires, chante t-elle dans une chanson, c’est pour contourner la nuit.”
L’album, profondément addictif, baigne dans un clair-obscur. Voix de Françoise Hardy lo-fi, au bord de l’évanouissement, mélodies obsédantes, parfois d’une majestueuse lenteur, guitares à l’anglo-saxonne. On est happé par l’univers intimiste de Bless comme si on flottait directement dans son inconscient ; otage de ses textes à double sens et à la langueur poétique - “comment rester ensemble sans qu’un jour se ressemble” -, captif des textures uniques et vivantes, émaillées de trouvailles sonores, qu’elle produit avec une grande subtilité et une grande force ; prisonnier aussi de ses deux pôles, le masculin, le féminin, comme si sur ce “Fleuve des soupirants”, qui sonne comme un “Melody Nelson” fait à la maison, elle était à la fois Jane B. ET Gainsbourg. “Je sais qu’il y a énormément de féminité dans ce que je fais, mais j’ai grandi avec l’idée qu’il fallait trouver sa place parmi les hommes. Petite, je ne montais pas aux arbres, mais j’avais la sensation d’être un garçon. Aujourd’hui, arriver à sortir un disque et qu’il soit écouté me donne l’impression de pénétrer le monde.” Si tel est le cas, Bless you.